Jeudi 27 novembre 2008 : Hivernale aux Pertes.

Jeudi 27 novembre 2008 : Hivernale aux Pertes.

Nouveau messagede Bertrand le 03 Déc 2008, 20:07

Tandis que le soleil tente de sortir de sa fraîche torpeur nocture, Alain et moi nous activons au SCASSE dès 6h45. Le matos s'empile inexorablement, bien qu'on ne soit que 2. On finit par prendre la route, direction le plateau des Glières, par le Petit-Bornand. A notre soulagement, nous trouvons la route bien dégagé jusqu'au plateau et la piste enneigée nous permet de nous garer à côté de "Chez Constance". La température indique -8°C. Il fait grand beau. Le soleil d'hiver éclaire les sommets allentours.
Les bottes enfilées, les sacs débordants, nous attaquons la marche d'approche profitant d'une la trace existante. La neige fraiche tombée en quantité rend le paysage hivernal. Les sapins ploient sous un manteau blanc immaculé. C'est magnifique et l'appareil photo me manque. 25 minutes plus tard, nous chaussons les raquettes. Le froid est toujours mordant mais le soleil ne semble plus bien loin de nous réchauffer. J'attaque la trace bientôt repris par Alain. Le rythme est régulier, et même si les sacs sont lourds, la montagne enneigée nous enchante. Le plaisir de faire la traceà tour de rôle, de dessiner la courbure idéale d'un sentier imaginaire entre les sapins, nous permet d'arriver enfin au col de Spée. On se retourne encore pour admirer le soleil baignant les Aravis et le Mont Blanc avant de redescendre sur le versant nord, raide et froid. La descente est facile et nous sortons bientôt de la forêt. L'objectif est en vue. Les piquets des clôtures indiquent précisément la zone des pertes. Quelle hauteur de neige va-t-on trouver ? Faudra-t-il beaucoup d'effort pour atteindre la porte donnant accès au trou ?

En débouchant au dessus de la doline, après 2h20 d'approche, on découvre que la porte n'est que partiellement recouverte. Voilà qui est rassurant ! Cela signifie une séance de pelletage de la neige sera plutôt réduite. La zone des pertes est encore à l'ombre, aussi Alain propose judicieusement que nous poussons jusqu'à la grange la plus proche pour nous préparer. Nous y trouvons même une porte ouverte donnant sur une grande pièce au plancher couvert de paille (et de crottes). L'un des murs, exposés sud-est, est baigné de soleil. Le bois sombre nous restitue la chaleur et c'est bien tranquillement qu'à l'abri du vent, nous grignotons doucement sur un banc improvisé. La douceur du soleil est tellement appréciée que nous ne nous précipitons pas pour affronter l'objectif du jour. Au contraire, on étale au soleil la combinaison, espérant au mieux qu'elle emmagasine les calories, au pire qu'elle soit un peu moins raidie par le froid. Finalement, nous décidons que dans un premier temps, nous allons aller ouvrir la porte boulonnée, puis qu'on reviendra ensuite s'équiper à la grange pour aller sous terre. Qui a dit qu'on ne fait que repousser le moment d'affronter les difficultés ?

Dès que l'on dépasse le bord du mur de la grange, on ressent bien le léger vent qui témoigne de la température négative. Le déneigement de la porte s'avère en effet assez court. Quelques boulons pris dans la glace nous résistent un peu mais finissent par se laisser dévisser. Un moment d'inquiétude lorsque les planches du bas, soudées par la glace, semblent impossible à extraire. Finalement un peu d'acharnement, et elles finissent pas céder. Après une petite heure de travail, la porte est démontée, et les pertes grandes ouvertes. Elles aspirent goulument l'air froid du dehors. Reste plus qu'à la suivre, et pour moi, à découvrir enfin cette grotte dont on a si souvent parlé.

Retour à la grange ou cette fois il faut bien enfiler tout le matériel. Le baudrier serré, le kit rempli, la corde enkitée, nous voilà prêt pour une nouvelle aventure. L'objectif est clair : aller ausculter la trémie terminale ou se perd le courant d'air et avancer du mieux qu'on pourra, quitte à faire parler tout le matériel de désobstruction dont on dispose (et on est bien armé, le poid des sacs en témoigne). On retraverse le champ. Alain s'engouffre dans le trou, lutte un peu dans l'étroiture d'entrée. Je lui passe les sacs. Un dernier coup d'oeil au soleil et je m'engage à mon tour dans le boyau étroit.

L'attrait de la spéléo c'est qu'en l'espace d'un instant on a changé de monde. Eh bien là, c'est instantané. A la neige soyeuse, au soleil radieux, au calme et silence ouaté de la montagne hivernale, fait suite le hurlement du vent dans le casque, le froid glacial, la rugosité des parois, la pauvre lueur d'une flamme hésitante de l'acéto qui peine à dissiper un tantinet de lumière chaleureuse. En quelques secondes, les rares calories emmagasinées par nos combinaisons ont été arrachées par le vent qui balaye le boyau et s'enfuit devant nous. La glace vive accrochée çà et là luit dangereusement. Du mode "observation et tranquillité", je bascule dans le mode "action, efficacité requise". Alain, devant moi, descescalade prudemment les premiers ressauts partiellement englacés. Rapidement, on atteint le départ de la première verticale. On installe la corde sans trainer. En bas du premier puits (en réalité un plan très incliné), la diaclase a laissé place à une galerie plus large. Le vent est moins sensible et déjà un peu moins froid. L'hostilité du milieu s'estompe et le calcaire bien blanc tacheté de silex écorchés découvre de belles formes d'érosion. La flamme de l'acéto prend de l'assurance. La sérénité regagne nos esprits. Alain va voir un peu plus loin où il sera nécessaire d'utiliser la corde. Nous desescaladons un ressaut. Puis un vieux spit doublé une grosse écaille nous permet d'enchainer une seconde longueur. A son pied, plusieurs galeries s'offrent à nous et nous prenons celle de droite, où court d'ailleurs le fil téléphonique.

Alain qui m'a laissé passer devant me laisse la primeur de découvrir à mon tour la grande salle. On débouche à mi hauteur et tandis que jusqu'ici les dimensions des galeries étaient à taille humaine, le volume paraît presque incongru. Nos éclairages ont du mal à percer l'obscurité. Par une désescalade, ont prend pied dans l'éboulis qui en constitue le sol pentu. L'espace résonne de nos voix. C'est sûr qu'avec un tel volume si proche de la surface, l'exploration est excitante.

Nous traversons la salle et après une hésitation nous trouvons entre les blocs la suite de la ballade, équipée d'une corde. Quelques mètres plus bas, nous descendons une galerie qui s'abaisse et se couvre de glaise. J'arrive à un plan d'eau laissant une cinquante de centimètres de revanche. C'est un petit ruisseau qui alimente tranquillement cette grande flaque sans exutoire, indiquant certainement une perte à travers les blocs constituant le planché. Avec grande précautions, je traverse en me contorsionnant l'endroit en veillant à ne surtout pas remplir une botte. Peu après je trouve le départ d'un puits de 30m avec sa corde lovée, confirmant que la suite de notre parcours est bien là. Je revient sur mes pas, afin de prêter main forte à Alain pour acheminer les sacs sans les mouiller. L'obstacle franchit, nous sommes déjà bien sales. Tandis qu'Alain met en place la main courante d'accès au puit, j'explore une galerie annexe, bien propre et joliment sculptée, où le courant d'air m'accompagne. Je fais demi-tour en haut d'un ressaut d'où j'entends cascader un petit ruisseau. Je retrouve Alain qui attaque la descente, fractionne puis touche le fond. Je le rejoins. L'inclinaison des strates est splendide. Nous descendons quelques mètres dans la galerie qui fait suite et butte sur un plan d'eau. Proche de notre objectif, nous laissons les sacs et je pars faire connaissance avec l'endroit.

Par une galerie partant à gauche on rejoint quasi immédiatement une autre galerie. On patauge dans la bouillasse, avec un courant d'air bien marqué, qui après une voute basse, s'enfile dans une énorme trémie qui semble occuper tout le bord droit et le plafond de la galerie. Pas fameux...
Je remonte la galerie rencontrée qui donne au delà du plan d'eau obstruant la précédente. A l'extrémité, on entend le bruit d'un petit cours d'eau avec du courant d'air soufflant provenant d'un laminoir rempli de glaise. Sans doute est-ce le courant d'air que j'avais dans la galerie annexe précédant ma descente du P30.
Armé du pied de biche nous attaquons le chantier principal où se perd le courant d'air. On commence par dégager les gros blocs qui nous obstrue un accès correct au front de la trémie. Rapidement, la zone devient un bourbier immonde. Le froid s'installant je prends la place d'Alain. Après un certain temps, quelques beaux blocs déplacés, me voilà couvert de boue liquide, bien humide dans ma combinaison toilée enduite, et refroidi à la fois par le courant d'air glacé qui parcours l'endroit et par le goute à goute du plafond qui m'asperge résolument. Enfin, ayant évacué tous les blocs libres, il ne reste face à nous que des blocs participant à la stabilité relative de l'édifice qui nous entoure. Je laisse la place à Alain pour une inspection. Il titille quelques éléments puis choisi prudemment d'en bouger un à l'aide du petit pied de biche. Finalement, après son basculement, il préfère une sage et rapide retraite, rien ne nous prouvant que la trémie ne vas pas désormais s'effondrer suite à cette nouvelle instabilité. Un peu déçus, nous ne voyons pas vraiment quelle suite donner. Malgré les moyens dont nous disposons, ils ne semblent pas adaptés pour avancer.
Le froid me gagne et bientôt je grelotte. Avant de décider de rentrer car l'heure tourne, Alain s'engage dans une remontée terreuse à l'extrémité de la galerie de gauche. Je le rejoins après une attente qui m'a refroidi un peu plus. La suite ne semble pas très évidente et le courant d'air pourtant présent est difficile à localiser précisément. Je décide le demi tour. Tandis qu'Alain termine de se faire une idée, je rejoins les sacs, me force à faire de l'exercice afin de me réchauffer, tente de nettoyer un peu mon matériel en préparation de la remontée. Alain me rejoint et on décide que je déséquiperai, préférant fermer la marche plutôt qu'attendre en haut des obstacles.

La remontée du P30 me réchauffe et mes grelottements disparaissent. Ca va bien mieux. On repasse le plan d'eau avec toujours autant de précautions. Puis on débouche dans la grande salle. Sachant qu'avec la nuit qui est tombée dehors, le froid sera... saisissant, on décide de manger un peu et de déchauller pour disposer d'un éclairage correct pour la sortie. La dudule maculée de boue, fait un peu des seines, mais finalement refonctionne a peu près. J'avale le reste de pain et de jambon me restant de ce midi. Un peu de chocolat, une barre et voilà l'estomac contenté. Alors que le froid qui nous entoure recommence à nous transpercer, on décide de repartir.

On sait bien sûr que la sortie va être difficile. Il va nous falloir affronter le courant d'air de face. Alain attaque et je déséquiperais le plus vite possible. Mais il devra néanmoins m'attendre pour les ressauts d'entrées du fait de nos 3 sacs. Nous quittons la grande salle et déjà le courant d'air dans la galerie nous invite à ne pas trainer. Alain remonte la première longueur. Je le rejoint et tandis que je renkite, il continue. Je réescalade le ressaut et j'aperçois Alain en train de se fourvoyer dans une galerie annexe. En effet, ayant accroché la corde pour éviter que celle ci ne soit prise dans la glace au départ du premier puits, Alain ne l'a pas vue. Tandis qu'il fait demi-tour et remonte sur la corde, j'en profite pour me réfugier dans la galerie annexe moins ventée. Une fois qu'Alain m'a crié libre, je remonte du plus vite que je peux. Le dés-équipement est vite expédié et je m'engage dans le boyau.
On est comme face à un ventilateur. On se passe les sacs. Déjà les longes sont raides et les mousquetons soudés par le gel. J'ai remonté mon col de polaire et baissé mon bonnet au maximum sous mon casque. La combinaison et les gants deviennent raide comme du carton. Les poils de la moustache et de la barbe tirent. L'humidité dans le nez gèle formant des caillots. L'eau se fige dans la dudule affaiblissant nos éclairages, et seules les leds distillent une lumière froide. Tandis qu'Alain s'extrait de l'étroiture, je tente de profiter de la moindre anfractuosité pour abriter une partie de mon corps de la bise qui hurlent à mes oreilles. Les sacs passés, enfin la voie est libre. L'étroiture, qui n'a rien de terrible en soit, devient extrême dans ces conditions. La combi, devenue rigide et glacée est une entrave supplémentaire. Naturellement, Murphy aidant, la calebonde se coince dans une anfractuosité et oblige à une marche arrière.
Finalement, je m'extrais de cet aspirateur naturel dont le vent (sans doute vers les -10°C ) englouti les calories à toute vitesse. La neige à l'extérieur ne paraît pas vraiment froide en comparaison. Dans l'action, on profite pour tout de suite commencer à refermer la porte et ainsi couper ce courant d'air infernal. Les panneaux de bois sont encastrées, les cales de métal sont fixées plus facilement qu'on s'y attendait, et on peut enfin rejoindre la grange et sa pièce abritée du vent.

Même si la température à l'intérieur doit avoisiner celle de l'extérieur, l'absence de courant d'air est une réjouissance. On se change alors dans la pénombre de nos acétylènes agonisantes, et le thé tiédasse du thermos nous apparaît presque chaud. Tandis qu'Alain, au milieu des crottes de mouton et autres bouses, enkite soigneusement ses affaires, je soupèse avec inquiétude mon sac désormais chargé d'un peu plus de terre gelée qu'à l'aller.

Le retour sera long et rude. Les pieds, pas formidablement tenus dans nos bottes souffrirons dans les pentes avec les raquettes. Un coup de fil vers les 23h au col de Spée pour signaler à Delph que tout va bien, 2 poses sur le chemin du retour et c'est pas loin de 1h du matin qu'on atteindra la voiture. Sans même quitter nos bottes et nos gants, on rentrera doucement au club, tandis que le thermomètre indique -12°C...

Pfiou ! Belle hivernale... on s'en souviendra.
Bertrand
Administrateur du site
 
Messages: 50
Inscription: 05 Juin 2008, 11:08

Re: Jeudi 27 novembre 2008 : Hivernale aux Pertes.

Nouveau messagede Florent le 04 Déc 2008, 16:18

ça fait envie
Florent
 
Messages: 66
Inscription: 14 Juin 2008, 17:56
Localisation: Ville-la-grand


Retourner vers Pertes de tinnaz

cron